« Ordonner 1 chaos, voila la realisation »
A l’occasion de l’exposition « Apollinaire, le regard du poete » (du 6 avril au 18 juillet 2016) a voir au musee de l’Orangerie, les editions Gallimard nous presentent un catalogue raisonne d’la periode artistique, entre 1902 et 1918, ou Guillaume Apollinaire a pu mettre en forme et vivre son epoque sous le regard croise du poete et du critique.
Ami des artistes, Apollinaire s’est revele un acteur central de la revolution esthetique. Neanmoins, fallait-il presenter 1 format d’exposition traditionnelle ou imaginer, accompagner tel le fit Apollinaire en des heures, l’esprit d’un savoir reinvente ? Aurait-il ete possible de presenter une version « vivante » de son heritage, une version digitale, encyclopedique, au croisement d’une connaissance qui permettrait d’emerveiller, de decentrer notre regard de l’homme a le epoque, par la liberte des mediations, meditations critiques et esthetiques de notre temps ?… Sous peine, tel le poete l’avait lui-meme suggere au premier ver de son poeme Zone et qui ouvre le recueil Alcools (editions Mercure de France, 1913) : « A la fin tu es las de votre monde ancien » ; une exposition du passe ouvrant vers le moderne en quelque sorte.
Pourtant, que de subtilite dans le propos et quelle audace de rendre hommage a votre auteur, a un artiste, un homme des ideogrammes, une sentinelle du regard, 1 artilleur du feu des arts, Afin de l’integrer a la lignee des poetes, des critiques d’art et qui fut capable d’anticiper des bouleversements esthetiques de des heures en accompagnant la naissance de l’art moderne ! Laurence des Cars, signe une tres belle contribution qui permet d’apporter 1 eclairage plus nuance au cours d’entretiens radiophoniques d’Andre Breton avec Andre Parinaud en 1952, ou il decrivait l’espace d’Apollinaire dans l’histoire une poesie-critique. Pour Breton, Baudelaire et Apollinaire partagent une rare capacite d’ordonnancement visionnaire, au moyen d’instruments d’arpentage mental, « 2 faiseurs d’ordre et d’aventure ».
Pourtant, si pour Apollinaire, Baudelaire fut un exemple de « liberte litteraire », Apollinaire voyait en l’ecrivain une pensee trop noire, trop antimoderne dans l’ame favorisant « le pessimisme qui depuis le 19 e siecle n’a cesse de hanter nos ecrivains ». A votre egard, il se considerait votre anti-baudelairien. Mais pour autant, Apollinaire ne rejeta pas bien, il reprit a son compte sa theorie en fonction de laquelle :
« Notre beau est toujours, inevitablement, d’une composition double, bien que l’impression qu’il produit soit 1 […] le beau reste fait d’un facteur eternel, invariable, dont la quantite reste exclusivement ardu a determiner, ainsi, d’un relatif, circonstanciel, qui est, si l’on veut, tour a tour ou tout ensemble, l’epoque, la mode, la morale, la passion », Charles Baudelaire, in. Le peintre dans notre vie moderne, 1863.
« C’est de la souffrance ainsi que bonte
Que sera faite la beaute
Plus parfaite que n’etait celle
Qui venait des proportions », « Mes Collines », Calligrammes.
L’exposition donne un apercu de le univers intime, situe au 202 boulevard Saint-Germain, ses ?uvres d’art primitif, les tableaux des amis, ses supprimer sugardaddyforme manuscrits personnels, des photographies montrent une accumulation de chefs-d’?uvre, serres les uns contre nos autres. Concue en collaboration avec le Musee national Picasso, l’exposition met en scene avec un dynamisme des couleurs, caracteristique du mouvement orphiste, l’univers esthetique d’Apollinaire a travers un parcours thematique, decouvrant l’homme et le epoque, la frequentation des milieux litteraires et artistiques qui l’amene a cotoyer Derain, Vlaminck, le Douanier Rousseau, Matisse, Picasso, Braque, Delaunay, Paul Guillaume et sa muse Sophie Laurencin… De nombreux peintres realisent d’ailleurs des portraits de l’auteur : l’?uvre de Picasso intitulee L’homme a la guitare qui lui avait ete offerte en guise de cadeau mariage, et celle de Giorgio De Chirico en 1914, le Douanier Rousseau… Mais c’est sans nul doute sa relation avec Picasso qui marqua l’espace de l’expression visuelle et litteraire face a la peinture et les mots, de la poesie envisagee comme le seul linceul, lieu d’une page blanche, rendant possible le dialogue entre des deux arts. C’est de une telle ambition que naissent les ideogrammes lyriques puis nos calligrammes, qu’Apollinaire souhaitait reunir dans un recueil qu’il aurait intitule : Et moi aussi j’suis peintre ? Neanmoins,, comme l’ecrit Claude Debon, s’agit-il vraisemblablement d’un clin d’?il a sa compagne perdue, Sophie Laurencin, qui avait peint par 1913 un autoportrait : elle tient votre livre a la main concernant lequel est ecrit « j’habite poete ». A moins qu’il songe a J’ai realisation recente de Blaise Cendrars qui publie la Prose du transsiberien mise en couleur par Sonia Delaunay ?
En nous donnant a voir ses poemes, Apollinaire nous incite a J’ai contemplation, a la correspondance des arts, a toutes les perceptions. Un ?il qui ecoute, une pluie, qui tombe nulle part et qui vient du neant, que l’on entrevoit dans d’infinies gouttelettes, des lettres, remplacant chaque rencontre, chaque cherie, via le souvenir brumeux d’une tempete, avec le souvenir d’une voix qui parle au travers du brouillard du desir, d’un tendre ete si pale, comme une liquidation d’une realite, ecoutant « tomber nos liens qui te retiennent en haut et en bas ».
Comme l’ecrit Donatien Grau dans le livre, il ne s’agit nullement pour Apollinaire d’alterer la langue et les formes de Mallarme ou d’Alfred Jarry, mais d’y mettre de « l’ordre ».
Ainsi Apollinaire reprend l’identite de pallier poete, arme de sa muse, revenant a effacer nos evenements recents en poesie ainsi que renouveler par la beaute des images, c’est-a-dire par le motif metaphorique, de definir un « esprit nouveau qui s’annonce, pretend avant tout heriter des classiques un solide bon sens, votre esprit critique certain, des vues d’ensemble sur l’univers et dans l’ame humaine et le sens du devoir qui depouille les sentiments et en limite ou plutot en contient des manifestations. Il pretend bien heriter des romantiques une curiosite qui le pousse a explorer l’integralite des domaines propres a fournir une matiere litteraire qui permette d’exalter la vie sous quelque forme qu’elle apparai®t. Explorer la verite, la chercher, aussi bien dans le domaine ethnique, entre autres, que dans celui de l’imagination, voila nos principaux caracteres de cet esprit nouveau ».